Section spéciale
Costa-Gavras, 1975
En juin 1941, Hitler attaquant l’URSS, les communistes finissent par rejoindre la Résistance.
Le , un jeune militant communiste — ultérieurement connu sous le nom de colonel Fabien — abat dans le métro parisien un militaire allemand, l’aspirant de marine Alfons Moser. Cet épisode est connu sous le nom d’« attentat du métro Barbès ».
Redoutant les représailles allemandes dans la population parisienne, le gouvernement de Vichy décide de prendre les devants. Avec l’aval de l’amiral Darlan (vice-président du Conseil), Pierre Pucheu, ministre de l’Intérieur, propose au Conseil des ministres présidé par le maréchal Pétain, d’adopter une loi d’exception pour juger, dans le but d’obtenir une condamnation à mort, six Français en échange de la vie de l’aspirant Moser, et ainsi satisfaire la marine de guerre allemande. Ces six accusés seront évidemment choisis parmi les ennemis ou les indésirables du régime de Vichy : communistes et Juifs.
Autour de la table, outre Philippe Pétain, Darlan et Pucheu, Joseph Barthélemy, ministre de la Justice, le général Huntziger, secrétaire d’État à la Guerre, le général Bergeret, secrétaire de l’Air, Yves Bouthillier, ministre de l’Économie, etc.
Pétain laisse faire Pucheu, mais Barthélemy — professeur de droit — se cabre, puis finit par se soumettre aux injonctions du maréchal ; les autres ministres suivent.
Cette loi d’exception doit être rétroactive (puisque les condamnations doivent être prononcées et exécutées dans les plus brefs délais), si bien que les ministres, peu habitués à ce type d’exercice, la signent en laissant un article entier en blanc, lequel article sera plus tard rédigé à Paris par le procureur de l’État Maurice Gabolde avant sa publication au Journal officiel. Outre son caractère rétroactif, cette loi a ceci de particulier que les condamnations ne doivent pas être motivées, et qu’aucun recours n’est possible ; elle attribue compétence à des « sections spéciales » de la cour d’appel (d’où le titre du film).
Après la mascarade législative (la loi est même antidatée pour donner l’impression qu’elle a été adoptée avant l’attentat) et la parodie de justice (un des prévenus a déjà été jugé), s’engage alors une double course contre la montre : du côté des autorités françaises pour faire guillotiner les six prévenus, et du côté de la défense pour les sauver, notamment via un recours en grâce introduit auprès du chef de l’État, le maréchal Pétain, celui-là même qui a signé la loi.
Le film montre également comment les scrupules moraux du garde des Sceaux, Joseph Barthélemy, puis des magistrats, sont progressivement étouffés par la menace, brandie par la propagande française, de représailles allemandes aveugles parmi des dizaines de « notables », particulièrement « des magistrats » alors qu’en fait, les Allemands ne menaçaient de fusiller que « six Français, coupables d’actes terroristes ».
Le film débute par la diffusion du discours de Pétain dit « du vent mauvais » en plein casino de Vichy, lors d’une représentation de l’opéra Boris Godounov.
Durée 110 minutes
Hommes politiques et hauts fonctionnaires
- Michael Lonsdale : Pierre Pucheu, le ministre de l’Intérieur
- Louis Seigner : Joseph Barthélemy, le garde des Sceaux
- François Maistre : Fernand de Brinon, le délégué général du gouvernement
- Roland Bertin : Georges Dayras, le secrétaire général du ministère de la Justice
- Ivo Garrani : l’amiral François Darlan, vice-président du Conseil
- Henri Serre : le préfet Ingrand, délégué du ministère de l’Intérieur
- Pierre Risch : Lucien Romier, un ministre d’État
Magistrats et avocats
- Pierre Dux : Raoul Cavarroc, le procureur général
- Jacques François : Maurice Gabolde, le procureur de l’État français
- Claudio Gora : Francis Villette, le premier président de la cour d’appel
- Claude Piéplu : Michel Benon, le président de la Section spéciale
- Jacques Perrin : Me Roger Lafarge, l’avocat d’Abraham Trzebrucki
- Michel Galabru : le président Cournet
- Julien Guiomar : le substitut général Tétaud, le « réfractaire »
- Jean Bouise : René Linais, le conseiller
- Jean Champion : l’avocat général Léon Guyenot
Les Allemands
- Heinz Bennent : le major Beumelburg
- Romain Bouteille : le sergent Hans Gerecht, le tankiste allemand dans le métro
- Daniel Breton : l’aspirant auxiliaire de la Marine Alfons Moser
Les Résistants
- Jacques Spiesser : Pierre Georges, dit Frédo (plus tard le colonel Fabien)
- Patrick Raynal : Pierre, le résistant porte-drapeau
- Nathalie Roussel : une résistante
- Carole Lange : une résistante
Les prévenus
- Bruno Cremer : Lucien Sampaix, le journaliste
- Yves Robert : Émile Bastard, l’un des condamnés à mort
- Jean-Denis Robert : Émile Bastard jeune
- Guy Rétoré : André Bréchet, l’un des condamnés à mort
- Jacques Rispal : Abraham Trzebrucki, l’un des condamnés à mort
Autres rôles
- Yves Montand, Bob Castella et Costa-Gavras : des soldats mangeurs de soupe
AUTOUR DU FILM
Section Spéciale s’inscrit dans le cycle des films politiques de Costa-Gavras : Z (1969), L’Aveu (1970), État de siège (1972), ainsi que le film d’Henri Verneuil, I… comme Icare (1979) tous les quatre avec Yves Montand dans le rôle principal, alors qu’ici ce dernier n’apparaît que de manière fugace. Ces films ont pour fil conducteur les rapports entre le monde politique et la justice, et Section Spéciale n’y fait pas exception. Cependant, contrairement à ses prédécesseurs, Section Spéciale n’est pas une demi-fiction réalisée au départ d’événements réels, mais une reconstitution minutieuse d’événements historiques, essentiellement établie d’après l’œuvre de Hervé Villeré qui s’est basé non pas sur les archives judiciaires françaises — dont l’accès lui a été refusé — mais sur des archives allemandes.
L’affaire des sections spéciales sera pour beaucoup dans la condamnation à mort de Pierre Pucheu à Alger, en mars 19448. Elle constitue une base de départ pour une discussion à caractère historique sur la politique de collaboration : les collaborateurs y voyaient un moyen de limiter les représailles des Allemands, et surtout de diriger celles-ci vers des Français « d’une moindre qualité » ; les partisans de De Gaulle lui reprochaient non seulement de soumettre la Justice française à l’occupant, mais surtout d’établir d’odieuses distinctions entre Français.
Cette affaire met en évidence le rôle personnel joué par Pétain. Il ne subit en cette occasion aucune pression directe des Allemands, contrairement aux événements du 9 par exemple. Costa-Gavras « représente » Pétain en ne le montrant pas : on entend sa voix, on voit ses mains et ses manches (constellées d’étoiles), mais on ne voit jamais son visage. L’effet de ce procédé est assez inhabituel et impressionnant. Costa-Gavras dépeint l’atmosphère très particulière de Vichy en 1941. Trois aspects sont mis en exergue : le caractère presque ridicule de l’entassement d’un gouvernement dans une petite ville de province, l’importance capitale, pour la population des deux zones, des décisions prises dans un contexte aussi inapproprié, et la quasi-déification de Pétain, paraissant planer au-dessus des événements. Alors que le sujet du film est plutôt « ciblé », pratiquement toutes les « personnalités » du régime de Vichy défilent à l’écran, y compris Fernand de Brinon (dont on précise qu’il a restauré son château de la Chassagne — Felletin, dans la Creuse — grâce aux fonds secrets), Jean-Pierre Ingrand10 et Georges Dayras pour la zone occupée. Même l’ambassadeur des États-Unis, l’amiral William Leahy apparaît dans le film.
Les rôles les plus importants ne sont pas dévolus aux acteurs les mieux connus : des célébrités comme Michel Galabru, Yves Robert, Pierre Dux, Bruno Crémer et Jacques Perrin n’y tiennent que des seconds rôles.
Le morceau Impromptus Hongrois (Moment musical op.94 n°3 en fa mineur D.794) de Schubert est interprété lors du dîner réunissant le commandement militaire allemand.
DÉTAILS CORRECTS OU ERRONÉS
- Bien que très ressemblant, le discours de Pétain diffusé à l’issue de Boris Godounov n’est pas l’enregistrement originel, lequel comporte trop de grésillements. Le texte d’origine se termine par « c’est de vous-mêmes que je veux vous sauver », tandis le discours du film se termine par « c’est de vous-mêmes que j’entends vous sauver ».
- Contrairement à ce que prétend un dialogue du film, Pierre Pucheu ne s’est jamais battu dans les rangs nationalistes durant la guerre civile espagnole
- La tenue de l’amiral Darlan semble ne comporter que quatre étoiles sur les manches et une seule couronne de feuilles de chêne sur le bandeau de la casquette : pour un amiral de la Flotte, ces nombres devraient normalement être, respectivement, cinq et deux.
- La décoration de la Francisque, portée notamment par Pucheu et Brinon, ne correspond pas au modèle officiel dépourvu d’anneau et d’argent.
- La dague portée par Alfons Moser semble être du modèle de la Heer (armée de terre) et non de la Kriegsmarine.
- Devant l’hôtel du Parc, les « plaques » portant ce nom sont en réalité des panneaux de carton placés trop loin, de part et d’autre de l’entrée. En outre, l’hôtel précédant l’hôtel du Parc en venant des sources est le Majestic et non l’hôtel Thermal (actuel hôtel Aletti Palace). De même, l’hôtel des Célestins n’est visible ni depuis l’hôtel du Parc ni depuis le Pavillon Sévigné (lors d’un Conseil des ministres, l’un de ses membres regarde par la fenêtre et « voit » l’hôtel des Célestins).
- Au début du film, on parle de conseils des ministres restreints, tenus hors la présence du garde des Sceaux : cela ne correspond pas à la réalité.
- On voit que le procureur de l’État, Gabolde, est affecté d’une boiterie : il avait effectivement été amputé d’une jambe pendant la Grande Guerre.
- Il est assez étonnant de voir, lors de l’arrivée de Me Lafarge à Vichy, la loge du maréchal Pétain gardée par des soldats, avec baïonnette au canon, portant à l’été 1941 la lourde capote et le casque de 1940 : le Maréchal disposait de sa Garde personnelle revêtue d’un uniforme spécifique (casque et tunique de cuir des troupes de cavalerie, notamment). De même, l’officier présent à ce moment aurait été un officier de gendarmerie.
- Les noms et les prénoms des prévenus sont exacts. On les trouve sur des plaques commémoratives ou parmi les 13 fusillés de Caen.